ars poetica. (terminée)

@ARTHURANDEAMES, TUMBLR.

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« Watts à l’appareil. » Voix monocorde, timbre attentif et efficace de ceux qui sont habitués à recevoir des appels au beau milieu de la nuit. Il est trois heures du matin, mais Travis ne dort pas. Il a toujours été du genre oiseau de nuit, trouvant son bonheur dans les heures les plus sombres, enveloppées de silence et d’obscurité, refuge idéal pour qui aime la discrétion. « Travis, c’est George. Navré pour l’heure tardive, mais j’ai un service à te demander. » Les services à rendre à George, Travis les connaît bien. Crocheter, fureter, fouiller, effacer, modifier : voilà son job. Là est sa vie, toujours à mi-chemin entre l’ombre et la lumière. Mais Travis n’est pas du genre à s’inquiéter de l’état de sa conscience. « Je t’écoute. » répond-il sans quitter son écran des yeux, les prunelles rivées sur une série de chiffres et de codes qu’il est le seul à comprendre – exceptée sa charmante banquière, Miss Phylls, basée aux Iles Vierges. « J’ai besoin que tu ailles chercher Grey. Il a déconné et c’est sérieux. » murmure George, et il a beau arrondir les angles, Travis sait qu’il n’énonce pas la moitié du quart des conneries que ce con de Grey a pu faire. Travis n’aime pas Grey. Il n’aime pas sa putain d’arrogance et ses goûts déplorables, il n’aime pas sa manière de se foutre dans le pétrin et il n’aime pas son sourire goguenard ni l’étincelle narquoise de ses yeux, il n'aime pas sa manière de l'appeler "puppet" ni de jouer avec ses nerfs. Bref, Travis n’aime pas Grey et il n’aime pas être dérangé à trois heures du matin à cause d’un con. Mais il n’a pas le choix. Putain de Grey. (...) Le jour se lève, et avec lui, son lot de problèmes quotidiens. Travis observe le soleil reprendre sa course de la fenêtre de sa cuisine, et met en route la cafetière. Il tâche d’occulter le fait que Grey est en train de dormir dans sa chambre d’ami, et qu’il va devoir se le coltiner pendant certainement plusieurs jours, ordre du chef, le temps que les affaires se tassent. Soudain, un bruit de pieds nus sur le carrelage froid le tire de sa torpeur, et il tourne la tête, seulement pour voir Grey en débardeur et en caleçon, frais comme une rose, comme s’il n’avait pas failli bouffer un type hier soir. Putain de troublé. Putain de Grey. « Tu dors en costard, c’est ça le truc. » Travis lève les yeux au ciel, et darde sur lui un regard réprobateur. « Tout le monde n’a pas ton extraordinaire sans-gêne. Habille-toi avant que je ne devienne aveugle. » Grey rit, bien sûr, parce que tout ça lui passe au-dessus de la tête et qu’il n’en a rien à foutre de l’avis de Travis. Sans demander, il s’assoit à table et se sert une tasse de café, sous le regard résigné de Travis qui tente du mieux qu’il peut de l’ignorer. C’est provisoire, se répète-t-il, mais rien que l’idée de devoir partager son unique salle de bain avec un tel personnage le rend malade. « Relax babe, je me ferai tout petit. » fanfaronne Grey comme s’il lisait dans ses pensées, alors qu’il engloutit une quantité impressionnante de toasts et éparpille des miettes partout. C’est officiel, Travis va le flinguer. (...) Il y a du sang partout. La douleur lui fait tourner la tête, et il ne peut compter que sur Grey pour le ramener chez lui. Il essaye de protester, d’argumenter, parce que son beau salon va être tâché de sang et que c’est pas facile à enlever, mais Grey a l’air furax, et il veut rien entendre, cette putain de tête de mule. Finalement, ils entrent dans la salle de bain. « Fais plus jamais ça, putain ! » Grey explose comme Travis l’a rarement vu faire. Pourtant, il devrait être habitué, puisque Grey lui traîne dans les pattes sans arrêt. A croire que ce type aime particulièrement l’emmerder, même s’il n’habite plus chez lui. « Si tu crèves, y aura plus personne pour... » Les mots se brisent sur ses lèvres, et Travis le regarde sans comprendre. Grey n’est jamais plus incompréhensible et insupportable que lorsqu’il laisse éclater ses sentiments avant de les ravaler comme s’il craignait de dire une connerie. Il sait pourtant que Travis n’a qu’un panel d’émotions réduit. Mais la détresse sur le visage du troublé, la peur même avec laquelle il regarde le sang qui macule la chemise de Travis, tout ça rend le hacker vaguement coupable. Et la culpabilité n’est pas une émotion avec laquelle il est très confortable. « Grey... » murmure-t-il d’une voix presque douce. Le troublé lui lance un regard furieux, nullement prêt à pardonner. Mais à pardonner quoi ? De l’avoir protégé ? C’est son job, merde. Est-ce que c’est sa faute si ce type bourré a sorti le couteau et a trouvé marrant de lui enfoncer dans le bras ? Travis a fait son job de garde, il l’a protégé et il y a des dommages collatéraux, ça arrive. « Fais plus ça, c'est tout. » répète Grey, et ce con s’assoit à côté de lui pour le soigner. Travis lève les yeux au ciel. Il comprend rien à ce type, vraiment.